Le Point du Jour

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Le Point du Jour – Cherbourg – 2018


Commissariat : David Barriet, David Benassayag & Béatrice Didier


Parcours dans l’exposition :


Le Fonds, 2012 – en cours

Tirages chromogènes et tirages jet d’encre montés sur carton archive

J’ai pris conscience que les Prairies, en raison de constructions autonomes et d’un aménagement non planifié, occupaient peu de place dans les archives publiques. Néanmoins, une autre forme de documentation, buissonnière, existait : lorsqu’on s’approprie un lieu et qu’on l’aménage, on le photographie souvent soi-même. J’ai alors entrepris de rassembler une archive dispersée et de constituer un fonds photographique ouvert aux contributions des usagers des Prairies. Constitué à ce jour de plus de cent-cinquante planches, le Fonds est destiné à s’enrichir au fil du temps. Son organisation suit la chronologie de la collecte, celle de la découverte d’un territoire et de la rencontre de ses habitants, de la lente compréhension de son histoire. Ces planches d’images rappellent, par leur développement organique, la topographie des lieux : un territoire aux frontières poreuses, formé de zones d’échanges, auquel chacun puise, contribue et se ressource (1).

Sans doute les archives institutionnelles conserveront bientôt les documents produits par l’agence Base qui segmente les Prairies en même temps qu’elle en délimite les usages, canalise pour remettre en eau, définit des zones inondables ou de passage, distingue une succession d’espaces qui s’achève en une suite de « salons (2) ». Peut-être y trouvera-t-on, rangés sur une autre étagère, les plans des promoteurs immobiliers dont les réalisations enserrent le site. Mais certainement peu de traces de ceux, usagers ou habitants, qui ont constitué l’histoire des Prairies et en sont aujourd’hui chassés, faute de revenus suffisants pour continuer d’habiter un centre-ville devenu pour beaucoup inaccessible.


Parc urbain, 2012-2017

Tirages jet d’encre sur papier baryté et tirages chromogènes

Cabane (parcelle 95) introduit l’ensemble Parc urbain. Posée sur les berges d’un bras de l’Ille, entièrement faite de matériaux de récupération, la cabane prend elle-même la forme d’un îlot dans la ville, dont les immeubles apparaissent à l’arrière-plan, en surplomb de la zone inondable. Porosité des formes ou malléabilité de la matière, dans Palissade un assemblage de tôles délimite un jardin ; l’image est elle aussi détournée de sa fonction d’illustration dans le journal. Plus loin, dans une autre image de presse, un habitant désigne la friche (Là-bas) ; dépourvue de sa légende, le sens de l’image s’ouvre, comme les usages du terrain vague que l’on pointe déjà du doigt.

Avec le portrait de Joachim, c’est la figure de l’habitant-constructeur et celle de l’habitant-photographe qui entrent en jeu. Jeanne, hébergée sur son terrain, apparaitra deux fois par la suite : instantané pris par Joachim devant la glycine en fleur (Jeanne (archives Joachim)), portrait posé que je réalise quelques mois plus tard (Jeanne). L’appareil-photo comme le regard circulent, les rôles et les usages évoluent. Ici, l’homme a plié l’arbre pour en faire un lieu de passage (Arche (plessage)). Dans Benne (parcelle 34), on devine les décombres des cabanes. Ils rejoindront bientôt la déchèterie, à moins qu’ils ne soient récupérés pour construire ailleurs. À l’arrière-plan, les immeubles semblent se déverser dans la benne, ou peut-être tentent-ils d’en réchapper. Vue aérienne (1947) pourrait représenter par anticipation le devenir des Prairies, comme marquées d’une croix dès l’époque de leur pleine expansion, après-guerre. Déjà la ville planifiée semble vouloir les digérer ; la forme des Prairies évoque celle d’un estomac.

Le diptyque Le Parc invite à prêter attention à l’envers du panneau d’information qui présente le projet de « parc urbain » imaginé par les paysagistes. On prend alors la mesure des controverses qu’il suscite : les jets de pierre ont fait éclater la surface du panneau, laissant des trous béants dans le paysage, ou des tâches de friche dans le blanc du plastique. À nouveau, la benne fait son apparition, cette fois-ci pour déverser les blocs de pierre qui empêcheront camions et caravanes de stationner au bord des chemins ou dans les parcelles désormais vacantes. Dans Buisson (pétrification), la pierre a volé en poussière, le végétal est figé par la chaux projetée par les engins occupés à ériger la butte de jeux qui permettra de confiner une terre soudainement déclarée polluée en 2009, justifiant l’éviction brutale des locataires de jardins pourtant réaménagés par la municipalité quelques années auparavant. Dans Bataille (parcelle 114), les fumigènes prennent soudain le bleu du crépuscule ; la zone d’affrontement devient terrain de jeu. Sur les murs d’une ancienne guinguette, dévitalisée pour en prévenir les occupations futures, les derniers habitants ont laissé derrière eux le dessin d’un oiseau qui s’élève (Phénix).


Dérive (1), 2014, vidéo, 19 min.

Dans Dérive (1), réalisé sur un bras de l’Ille resté sauvage et réputé non navigable, c’est le flux de l’eau qui détermine ce que j’enregistre. La caméra suit une branche puis s’en détourne, le champ s’ouvre sur le cours de la rivière, se referme sur la végétation des berges pour s’ouvrir à nouveau sur les fleurs d’un marronnier quelques mètres plus bas. De temps à autre, une branche retient la caméra. Comme un rappel à la terre, elle la détourne de sa trajectoire, provoque un décentrement, une résistance au flux, un sursaut.


Marcel, 2014-2017

Tirages jet d’encre sur papier baryté et impressions sur papier affiche

Alors que j’apportais à Marcel le portrait que j’avais fait de lui, sa voisine Faby m’a suggéré de regarder ses photos, un album aux pages remplies de petits tirages noir et blanc (Album (archives Marcel)). Dans la cuisine, quelques souvenirs lui reviennent. Il nous raccompagne, je fais une nouvelle photo de lui dans le jardin (Marcel, 2014). En découvrant les images, je me rends compte qu’il a repris la pause d’un portrait de jeunesse.

Le jour de son enterrement, mes portraits se mêlent aux photos de famille dans le pêle-mêle d’images réalisé par ses filles. Un an plus tard, sur la terre du jardin mise à nu par les pelleteuses, je fais un portrait de Marcel disparu (Marcel, 2017).


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1 Voir Paul Ricœur, « Histoire et Mémoire », dans Antoine de Bacque et Christian Delage (dir.), De l’histoire au cinéma, Bruxelles, Éditions Complexe, 1998 : « […] Toute histoire est une histoire construite où les personnages sont aussi construits que les événements. […] Raconter autrement, mais aussi être raconté par d’autres. […] Ces variations narratives ont une fonction critique remarquable au regard des formes les plus figées par la répétition, les plus ritualisées par la commémoration. On voit là à l’œuvre le travail de souvenir mais aussi celui du deuil. Raconter autrement et être raconté par d’autres, c’est déjà se mettre sur le chemin de la réconciliation avec les objets perdus d’amour et de haine. »

2 Ville de Rennes, « Plan masse 2015 des Prairies Saint-Martin », 2015 : « Plateau sportif, grande pelouse, parvis ludique, placette, domaine de la longère, potagers, plaine festive et sportive, treille végétale, jardins aquatiques, île mellifère, pré des ânes, bistrot, gradines, mare écologique pédagogique, forêt-galerie, zone humide (vaches cattle), roselière, parcelle expérimentale, kiosque, terrasse, friche, jardin artistique, guinguette, solarium, allée cavalière, salon de lecture, salon-tipis, salon tortueux, salon de souches, salon pique-nique, salon chablis, salon sieste. »



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